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SANTA SANGRE
Tout d'abord, pourquoi Santa Sangre est un film à voir ?
Parce que ce film est un concentré de tout ce qu'il y a de beau dans le cinéma, une splendeur visuelle autant que musicale. Des couleurs vives, des costumes kitsch (dans le bon sens du terme), du sang, du sexe (réduit à ce qu'il a de plus instinctif et de plus pécuniaire), des maquillages, des métaphores (beaucoup) dans un univers oscillant entre celui du cirque trash et celui de l'hôpital psychiatrique pour handicapés. Les personnages sont à la fois caricaturaux et complexes; les images, d'une poésie surréaliste bouleversante.
Santa Sangre rend hommage à des grands noms du cinéma par un foisonnement de références, du Chien Andalou de Buñuel et Dali, à Psychose d'Hitchcock. Certains passages rappellent les giallo de Dario Argento.
Pourtant, ce film réussi l'exploit de demeurer totalement autonome, et n'est pas qu'un vulgaire pot-pourri de clins d’œil faciles aux films cultes.
Réalisateur et genèse du film
Alejandro Jodorowsky est réputé pour être un artiste chilien aux multiples facettes. Parmi ces nombreuses facettes figurent celles d’écrivain, de philosophe, de dramaturge, d’acteur, de poète, de scénariste de bandes-dessinées et de « psycho-mage » (une approche du jeu de tarot divinatoire différente de l’ésotérisme ou de l’occultisme). De toutes les disciplines qu’il pratiqua, la plus controversée fut celle de la psycho-magie, une technique qui associe rites chamaniques, théâtre et psychanalyse, et qui est supposée provoquer chez les patients une catharsis dont l’objectif final est la guérison de l'esprit. Après s’être investi dans les projets avortés de Dune et de Tusk, Jodorowsky dut attendre neuf ans avant de revenir dans l’industrie cinématographique. En 1983, Claudio Argento, le frère du réalisateur italien Dario Argento, contacte Jodorowsky avec l’intention d’écrire un scénario qui s’intitulera par la suite Santa Sangre. Toutefois, le projet demeure en suspens pendant six ans, le temps de trouver le financement nécessaire à la réalisation du film.
Famille et métaphores
A travers une histoire cruelle et provocatrice, le réalisateur propose une étude exhaustive de la composition de la famille d'origine du protagoniste, les dysfonctionnements présents en elle et les répercussions de celle-ci sur la vie du héros. Jodorowsky ne put éviter d'imprégner une série d'anecdotes autobiographiques dans le scénario, lequel abonde de multiples symboles émotionnellement chargés.
Dans son autobiographie intitulée La danse de la réalité, Jodorowsky s’attache à décrire son père, immigrant russe et ex-trapéziste devenu vendeur de prêt à porter féminin, comme un homme aux goûts de luxe et au caractère abusif, lequel s’assimile assez à Orgo, dont le totalitarisme le conduit à graver un aigle au couteau sur le torse de son fils Fénix alors qu’il n’est encore qu’un enfant, ce qui, selon le réalisateur, est une métaphore évidente des cicatrices que les pères laissent sur l'esprit de leurs enfants. Celle-ci et d’autres composantes autobiographiques de Santa Sangre le transforment en un film bien plus personnel que les créations antérieures du réalisateur. Le fait que pour ce film, Jodorowsky ait décidé de travailler avec son épouse et ses enfants est particulièrement significatif. D’un autre côté, il est aussi important de prendre en compte les noms cachés des personnages du film. Le fait que le protagoniste s’appelle Fénix, nom de l’oiseau mythique qui renaît de ses cendres, que son père s’appelle Orgo, nom qui selon le réalisateur fait allusion à l’énergie sexuelle et à l’orgasme –mais qui peut faire également penser au mot orgueil (orgullo en espagnol)-, et que l’amie et la sauveuse du héros s’appelle Alma (âme en espagnol), n’est pas un hasard.
Une pléthore d’images et de sujets
Au-delà des éléments autobiographiques, la perte de l’innocence, le fanatisme religieux, la société comme outil de corruption, et, -aussi cliché que cela puisse paraître-, l’amour comme moyen de rédemption, sont quelques-uns des thèmes exploités par le réalisateur à travers de multiples symboles. Le jeu constant entre réalité et fantaisie, et entre objectif et subjectif, finit par détruire toute logique existante dans le film, le transformant en une expérience surréaliste particulière et effrayante. Des images comme celles qui exhibe un groupe d’enfants atteints du
Mais c'est quoi Santa Sangre au juste ?
Santa Sangre est un film mexico-italien de 1989 écrit et réalisé par Alejandro Jodorowsky. Le film est connu pour son mélange chargé de symbolique magique, de références psychanalytiques et son profond ton mystique, lequel se prête tout particulièrement à une sérieuse analyse philo-psychologique (il y a beaucoup trop de –ique dans cette phrase, je vous le concède). Il raconte différents épisodes de l'enfance et de l'âge adulte de Fénix et de sa relation avec sa mère Concha et son
père Orgo, tous faisant partie d'une famille qui se consacre aux arts du cirque. Le père de Fénix est propriétaire du cirque, en plus d'être lanceur de couteaux. Concha est la prêtresse d'une église, « Santa Sangre » qui vénère comme sainte une petite fille dont les bras furent coupés après qu'elle fût violée par des brigands. L'arrivée d'une femme tatouée (et de sa petite protégée, Alma, une funambule sourde-muette) dans le cirque provoque un séisme dans la vie des personnages. Orgo passe du bon temps en compagnie de la femme tatouée, et ces infidélités ajoutées à la destruction de l'église-secte « Santa Sangre », mettent à bout la patience de son épouse. Au cours d'une scène de jalousie très violente, Concha émascule son mari. Ce dernier riposte en lui coupant les deux bras, puis se suicide sous les yeux de Fénix.
Suite à ce traumatisme, Fénix (Axel Jodorowsky) se retrouve reclus dans un hôpital psychiatrique. En s’échappant de l’hôpital, Fénix part à la recherche de sa mère, qui l’entraîne sur le chemin de la folie et de l’horreur.
Avis au lecteur : Si tu n’as pas vu Santa Sangre, l’analyse qui suit risque de te paraître un tantinet obscure…
Folie et trauma dans Santa Sangre
Santa Sangre se focalise sur deux périodes de la vie du jeune Fénix. Ces périodes expliquent le processus de métamorphose et d'assainissement auxquels Fénix se soumet au cours de son existence. Pendant son enfance, Fénix se voit pernicieusement influencé par Orgo, son père, qui est un homme machiste et tyrannique, et par Concha, sa
mère, une fanatique religieuse. Cependant, le fait qui marquera la vie du jeune héros pour toujours sera le crime passionnel commis par son père, qui le conduit à la folie et à l’asile. Après s’être échappé de l’hôpital psychiatrique, Fénix retrouve sa mère et entame avec elle une relation oedipienne maladive de dépendance mutuelle. C’est alors que mère et fils commencent à réaliser de curieuses prestations artistiques; pendant qu’elle chante, Fénix est derrière elle et mime les gestes de sa mère avec ses mains. Fénix devient en quelque sorte les mains de sa mère, pratique qui se poursuit dans leur vie privée, où tous deux agissent comme un ventriloque et sa marionnette, seulement dans cette situation, c’est la marionnette qui domine. Tous deux ne forment plus qu’un seul corps, et Fénix est totalement soumis à la volonté de sa mère. Les ongles vernis de Fénix sont la métaphore de la domination de sa mère sur lui. Aveuglée par ses croyances et ses principes tordus, Concha oblige son fils à assassiner toutes les femmes susceptibles de le corrompre par le sexe, donnant libre cours à un cauchemar marqué par le sang et la violence.
syndrome de Down consommant de la cocaïne, font partie de l’imaginaire d’un réalisateur habitué à créer des cadres provocateurs avec un fond métaphorique. Il n’est ainsi pas étonnant que les univers créés par Jodorowky soient toujours infestés de moments pathétiques et ironiques, tendres et cruels, étranges et familiers, repoussants et attirants. Le travail du réalisateur s’appuie sur le travail stupéfiant de la photographie de Daniele Nannuzzi, la bande sonore du compositeur Simon Boswell, et par un casting composé d'acteurs expérimentés et d’interprètes amateurs, qui ensemble réalisent un grand travail personnifiant une galerie de personnages étranges et obscurs qui sont un fidèle reflet du monde dans lequel ils vivent.
Bien que Santa Sangre ait été catégorisé comme un film d'horreur ou comme un héritier douteux du giallo italien, sa nature anticonformiste empêche de l'enfermer dans un genre spécifique.
Mathilde Bert