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The Babadook

 

 

              

          he Babadook est un film d’horreur australo-canadien de Jennifer Kent, sorti en 2014. Il met en scène la confrontation d’Amélia (Essie Davis), son fils (Noah Wiseman) et d’un monstre, le Babadook. Ce film, récompensé par la critique (98% sur Rotten Tomatoes, 86 sur Metacritic), présente un intérêt cinématographique majeur, dans le sens où il parvient à éviter tous les écueils propres au genre : l’irréalisme quasi-absurde de l’horreur, la répétition presque obsessionnelle de la même intrigue (un tueur fou, un monstre, une poupée tueuse…) et l’absence de profondeur intellectuelle, en bref, The Babadook parvient à faire un film d’horreur qui soit autre chose qu’un film de divertissement. Comment cela est-il possible ?

 

      Le film d’horreur qui ne croyait pas aux monstres

 

          Ceux qui sont familiers du cinéma d’horreur en sont conscients : en général, la première moitié du film se passe à identifier un danger, généralement gratuit, la seconde est une confrontation avec le danger en question et sa résolution. C’est le stéréotype bien connu du groupe de jeunes dont la fête est gâchée par un tueur sadique, ou de la chasse au démon.La grande originalité de ce film est justement qu’il questionne jusqu’à la fin la présence du monstre, autrement dit il reste réaliste jusqu’à la fin.Cela est possible parce que la présence du monstre constitue un des thèmes du film, c’est-à-dire qu’il est développé à part entière, durant trois phases : 1. Samuel voit un monstre, sa mère non, 2. Samuel et sa mère voient le monstre, mais pas leur entourage, 3. Le monstre est accepté. Le film articule ainsi une réflexion autour de la question de l’existence ou non du monstre, mais cela va plus loin, en ce que ce thème structure en fait toute l’intrigue. La trame la plus simple, qui correspond en fait au synopsis, ressemble à cela : un monstre se met à hanter une mère et son fils. Mais cette trame est sans cesse remise en cause par l’entourage de la famille : pour la voisine, les policiers, la famille d’Amélia, les services sociaux, les évènements sont autres : Amélia, une mère qui ne supporte pas son deuil, finit par sombrer dans la folie. Ainsi a-t-on deux trames contradictoires, entremêlées tout au long du film.  Mais le véritable intérêt, c’est que la contradiction de ces trames est sans cesse soulignée : au moment où Amélia décide de porter plainte auprès du commissariat pour harcèlement –donc de donner une consistance réelle au monstre– on se rend compte qu’elle passe pour folle. De la même façon, Amélia découvre un trou dans son mur d’où sortent des cafards, mais on se rend compte quand arrivent les services sociaux qu’il n’y a aucun trou, ni aucun cafard. On se trouve donc dans une trame qui insiste sur une  hésitation entre deux visions d’un même événement : une course vers la folie ou  l’arrivée du monstre.

       Le sens de l’horreur

          Donner un poids à l’horreur, qui dépasse la simple fascination macabre, est en effet un autre exploit de ce film : l’horreur ici n’est pas gratuite. Cela est rendu visible par le fait que les deux aspects de la trame mis en lumière dans le film ne sont pas réellement contradictoires, mais doivent être envisagés comme les deux aspects d’un même phénomène. C’est la symbolique du film qui permet cela : le monstre n’existe que pour la mère et son fils, la mère n’est folle que pour les proches. Autrement dit, deux espaces se partagent deux modalités de l’horreur : l’espace interne (la famille) vit l’horreur du monstre, l’espace externe (l’environnement de la famille, leurs proches, voisins, etc.) n’a accès qu’à un mode rationnel d’horreur, la folie. Le monstre n’existant que pour la mère et son fils, on comprend qu’il n’a ici qu’une portée symbolique. Ce qui peut nous mettre sur la voie de cette portée symbolique, c’est l’étrange ressemblance entre les habits du père de Samuel, un costume et un chapeau noir, qu’Amélia conserve dans sa cave, et l’apparence du monstre. Cela devient très clair lorsque le monstre prend possession d’Amélie : il lui apparaît sous les traits du père, avant que son image ne s’assombrisse pour embrasser celle du monstre. Le monstre n’est donc pas anodin, la situation initiale lui donne un sens : le souvenir du père, qui dégénère les rapports entre la mère et le fils (« you don’t know how many times I wished it been you instead of him that died », lui dit-elle, au paroxysme de sa folie), et plus précisément un sens symbolique puisque s’éclaire à partir de là le dénouement, et surtout sa forme, particulièrement inhabituelle dans ce genre puisque purement symbolique : la confrontation est un simple processus de reconnaissance du monstre par la mère (on passe de « It isn’t real » à « you’re trespassing in my house ! »). Ainsi le traitement original de l’horreur dans ce film passe par un symbolisme qui lui permet de donner un sens au monstrueux. La seule question qui réside est celle de l’effectivité en termes d’horreur : est-ce que le symbolisme, ça marche ?

 

         Le poids du réalisme

 

          C’est une question intéressante parce que The Babadook a pu faire des déçus : ceux qui justement attendaient un type d’horreur plus classique. Il apparaît néanmoins que les procédés de la réalisatrice présentent plusieurs avantages. Tout d’abord, le caractère symbolique de l’horreur a pour intérêt de mettre en scène des situations réalistes. Ainsi la tension croissante dans ce film n’est pas le fait d’effets éblouissants mais d’une situation de vulnérabilité soulignée de l’enfant vis-à-vis de sa mère, vulnérabilité qui est de plus en plus accentuée : elle commence réellement lorsque Samuel fait remarquer à sa mère qu’il n’y a rien à manger et qu’il a faim, et croît jusqu’à ce qu’Amélia l’agresse physiquement. Par ailleurs, l’aliénation progressive de la mère est très convaincante, grâce d’une part au très beau jeu d’Essie Davis, dont les expressions faciales, la voix, les déplacements finissent peu à peu par mimer ceux du monstre (« why do you keep talk-talk-talking like that » dit-elle à Samuel, la triple répétition rappelant directement le bruit annonciateur du monstre « baba-dook, dook,

dook »).

 

          The Babadook réussit donc l’exploit de renouveler le cinéma d’horreur en apportant un nouveau traitement de l’horreur, à travers un travail sur la symbolique du monstre, travail qui a pour effet de tenir le spectateur en haleine, tant par l’ambiguïté de son intrigue que par la qualité de sa réalisation. Finalement, la réussite de ce film tient peut-être de ce qu’il parvient à mener une double recherche : fournir une analyse psychologique et sociale de la folie et du deuil, et donner un sens à l’horreur, et au fond, peut-être que la vraie difficulté était là : faire un bon film qui soit aussi un film d’horreur.

 

Augustin Lavaud

SPOILER ALERT ! 

A cet égard le film relève beaucoup moins du genre horrifique que du fantastique, puisqu’on se souvient que le fantastique est justement caractérisé par une hésitation entre une résolution rationnelle (la folie) ou irrationnelle (le monstre) d’une situation. Or cela constitue une prouesse à deux égards : tout d’abord cela donne un second souffle à un genre qui a tendance à répéter les mêmes structures, ensuite cela donne un sens à l’horreur, et évite l’écueil d’une horreur gratuite, du même coup invraisemblable.

             Par ailleurs les plans renforcent de façon très efficace ce jeu (notamment lorsqu’Amelia est assise devant un film d’horreur : les plans laissent penser qu’elle se regarde dans un miroir). Au niveau technique, le jeu d’éclairage et la musique sont très impressionnants, tant par leur précision que par leur ponctualité : la musique est particulièrement minimaliste.Au niveau de l’efficacité du film, The Babadook reste donc bien dans la même ligne directrice : l’essentiel est gardé, pour créer une tension alimentée par le réalisme de la situation et par la précision des plans et du support technique plutôt que par des prouesses pyrotechniques (cf la série de Massacre à la tronçonneuse d’Hollywood).

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