Pulp Vision
L'association des cinéphiles de Neoma Business School Rouen
Comme le dit Beau Willimon, scénariste d’House of cards, dans un
interview au The Daily Beast « Notre approche de la politique, c’est de
la considérer comme du jazz : une suite de réactions et de réponses à
l’inattendu ».
House of cards est une série télévisé commercialisé par Netflix depuis
2013. Mêlant le genre du thriller politique et du drame, House of cards
aborde les thèmes délicats du pouvoir politique, du rôle de la presse et
des jeux de pouvoirs au plus haut sommet de l’Etat fédérale Américain.
Encadré par deux grands noms du cinéma, Kevin Spacey ( oscar du
meilleur acteur en 2000 pour American Beauty ) et David Fincher
(Emmy Award de la Meilleure réalisation pour House of cards, 2013) , cette série ne pouvait qu’être un grand succès de Netflix : elle est visionnée par plus de 6% des abonnés Netflix (2.7 millions de personnes), sans compter le streaming… Une cinquième saison est prévue pour 2017.
Cette série, crée par Beau Willimon, s’inspire du roman éponyme du britannique Michael Dobbs. Le thème de la série est directement influencé par la carrière de Michael Dobbs : journaliste durant le scandale de Watergate, chef d’état-major, vice-président du parti conservateur et conseiller de Margaret Tatcher. Par ailleurs, Beau Willimon n’en est pas à son premier essai dans ce domaine, il participe au scénario du film Les marches du pouvoir, de 2011, avec George Clooney et Ryan Gosling, récompensé par une nomination aux oscars en 2012 pour le meilleur scénario adapté, qui traite de la confrontation de l’idéalisme démocratique au réalisme politique d’une campagne de la primaire démocrate.
Ainsi, Beau Willimon met en scène Kevin Spacey dans le rôle de Frank Underwood, le Whip démocrate au Congré, politicien ambitieux et opportuniste prêt à tout pour parvenir aux plus hautes marches du pouvoir exécutif américain… Avec sa femme, Claire Underwood incarnée par Robin Wright, ils forment un couple soudé qui n’a pas peur de se salir les mains pour parvenir à leurs fins.
Cette série originale s’affiche comme un des grands succès de Netflix ces dernières années. Mais comment expliquer ce succès ? Est-ce un phénomène de mode et l’engouement pour cette série est-il dû à une campagne de communication réussie ? Ou alors est-ce que cette série apporte un élan de renouveau dans le genre déjà vue du thriller politique ? Et quel forme ce renouveau prend-il ?
House of Cards
L'implication du spectateur par les jeux de regards
Dès les premiers épisodes de la série, on est happé par le personnage de Frank Underwood et l’intrigue du scénario. Comment cet effet est-il rendu ?
L’originalité de la série repose sur des intermèdes, des pauses dans la scène où Frank Underwood s’adresse directement à nous, spectateur, pour commenter l’action de la scène, le personnage, et annoncer ses véritables intentions dans ses rapports avec les autres personnages de la scène. Ainsi, il implique personnellement le spectateur dans l’intrigue : il se place au-dessus de la scène et possède pour ainsi dire un certain « pouvoir » sur l’ensemble des personnages de la série.
Le plus fort, c’est que le spectateur devient personnellement complice de Frank lorsqu’il partage avec nous son véritable point de vue. En effet, l’hypocrisie est omniprésente dans cette série politique et le spectateur accède par ce jeu au double sens de la scène, d’un côté au discours propre, respectueux, de gentleman, de Frank et de l’autre à la volonté cachée de Frank. Cependant, la complicité du spectateur vis à vis de Frank est à relativiser : le spectateur accède au but poursuivi par Frank, à savoir devenir vice-président, puis président, faire obstacle à Raymond Tusk (un homme d’affaire joué par Gerald McRaney) mais le spectateur ne connait pas les moyens que Frank mettra en place pour parvenir à ses fins ! Tout au long de la saison 1 par exemple, Frank met en place un plan pour devenir vice-président, et le spectateur ne comprend ce plan qu’à la fin de la saison, lorsque ledit plan est exécuté. On est ainsi subjugué par l’intelligence mais aussi l’immense machiavélisme de Frank Underwood pour parvenir à ses fins.
Le thème du pouvoir
Au cas où on ne s‘en serait pas rendu compte, le thème de la série est le pouvoir, mais, comme le rappelle Beau Willimon, il faut distinguer le pouvoir et le pouvoir en politique qui n’est qu’un sous-ensemble du premier. Pour accéder au pouvoir de façon générale, le couple Underwood s’investit tout d’abord en politique, et, par la même occasion, s’investit dans le monde médiatique, intimement lié au monde politique. Le sexe et l’argent (thème peu abordé dans cette série) sont également des moyens pour avoir un pouvoir sur les autres. Comment la recherche du pouvoir est-elle rendu dans cette série ?
Bien que cette série soit fictive, elle estl’illustration
de la puissance de la parole convaincante et des
médias en politique. On se rend compte qu’ « avoir
le pouvoir » est synonyme de nos jours à « avoir et
contrôler l’information ». Celui qui convint peut
manipuler les gens et cela par tous les moyens
disponibles. Par exemple, Frank n’a aucun scrupule
de tromper sa femme avec une jeune journaliste : il
appâte la jeune journaliste avec des scoops exclusifs
et couche avec elle pour encore plus la contrôler, et
contrôler par la même occasion ses publications
dans un journal « indépendant » américain. Chaque personnage politique de la série, le couple Underwood, le jeune lobbyiste Remy Danton, sait repérer les points faibles des autres et les utiliser à son profit. Tous les rapports sociaux sont sous contrôle et calculée et la spontanéité est absente.
Par ailleurs, la tension politique développée par Beau Willimon tout au long de la première saison n’est pas prêt de s’essouffler pour les saisons suivantes. En effet, plus Frank Underwood se rapproche du sommet de l’Etat et du « tout-puissant », plus il suscite la convoitise d’ennemies toujours plus nombreux, les difficultés mises sur le chemin de Frank sont toujours plus difficiles à relever, à notre plus grand plaisir ! En politique américaine, tout est permis ! Par exemple, Claire Underwood, la femme de Frank, fait d’abord face à des difficultés dans la gestion interne de sa fondation, mais elle est victime ensuite d’une attaque beaucoup plus directe et virulente : elle est au cœur d’un scandale d’agression sexuelle par un haut gradé de l’armée américaine. Claire trouve la force de relever ce défi dans son couple, couple qui semble encore une fois l’unique rempart contre la violence du milieu politique américain.
Le couple underwood
La série trouve un nouveau souffle dans le couple Underwood lorsqu’elle s’essouffle dans les thèmes parfois réchauffés de la politique (scandales, lobbys, pantouflage…). Le couple Underwood est un des objets-non-identifiés de cette série : c’est comme si 2 animaux s’étaient alliés d’un commun accord pour avoir le plus de pouvoir. Comment ce couple fonctionne-t-il ? Peut-on qualifier ce couple de moderne ?
Claire est à la tête de la fondation Clear Water Initiative, une ONG pour le développement durable, mais elle est aussi le pendant féminin de Frank, tout aussi ambitieux et avide de pouvoir ! Nous pouvons pour commencer nous interroger sur la nature de ce couple : est-ce un mariage d’amour ou un mariage de raison ? Nos premières impressions nous laissent penser qu’il s’agit d’un mariage de raison : chacun accepte que l’autre ait une relation conjugale. Frank s’adonne à des parties de jambes en l’air avec la journaliste Zoe Barnes (jouée par la talentueuse Kate Mara et Claire voit régulièrement son amant Adam Galloway, joué par Ben Daniels). On peut cependant
remarquer que les relations extra-conjugales de Frank servent ses ambitions politiques et Claire, telle une Lady Macbeth shakespearienne, est dénué de chaleur amoureuse envers son amant
Ce couple est alors moderne dans la relation que chaque partie a avec l’autre : Claire et Frank restent indépendant l’un de l’autre dans leur vie professionnelle mais poursuivent le même but, à savoir le pouvoir. De plus, ils savent qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre en cas de besoin, comme lorsque Frank accoure au chevet de Claire lorsque celle-ci fait un malaise. Les parallèles à l’actualité ne manquent pas, ce couple nous fait penser au couple Clinton ou Obama : médiatique et présidentielle, dont le chemin est semé d’obstacles en tout genre : on pense notamment au scandale Lewinsky, du nom d’une stagiaire de 22 ans qui a eu une relation conjugale avec Bill Clinton . Enfin, cette complicité implicite prend forme lors de moments intimes à la fenêtre, lorsqu’ils fument à deux une cigarette. Ce sont des moments de partage silencieux mais d’où transparait la complicité à toute épreuve qui unie le couple. Cependant, cette complicité survivra-t-elle au statut de couple présidentiel ? A vous d’en juger en allant voir la saison 3 …
Cependant, cette violence omniprésente dans la série n’est-elle pas un peu exagérée pour un pays comme les Etats-Unis, où des lois fédérales encadrent la vie politique ? Le spectateur n’a aucun moyen de juger le degré de vérité de la série, tant la sphère politique américaine nous est étrangère. Nous en avons qu’un bref aperçu, transformé par le prisme des médias. On ne veut pas croire que le monde est seulement régi par la loi du plus fort, du pouvoir, du sexe et de l’argent.
C’est donc un succès pour cette série originale, qui permet à Netflix de se positionner comme un acteur majeur des producteurs de séries.